Le bas-débit à bricoles: 2005-08

26 août 2005

Jusqu'à plus soif ?

Explosion de la demande mondiale de pétrole? Pas grave: l'Arabie Saoudite produira 18,2 millions de barils par jour en 2020, puis 22,5 millions en 2025, répond l'agence d'information du département de l'Énergie des États-Unis. Il est où, le problème?

C'est à cette question cruciale qu'a voulu répondre le journaliste Peter Maass dans un long reportage que publiait dimanche dernier le New York Times Magazine. Tout le reportage, en définitive, vient saper la belle assurance manifestée par Washington en matière d'approvisionnement.

Et ce pour une raison fondamentale: la capacité saoudienne d'approvisionner le marché américain repose essentiellement sur des prévisions de consommation des États-Unis mais aucunement sur la capacité réelle de l'Arabie Saoudite de répondre à la demande. Cette capacité réelle des Saoudiens est douteuse- tant pour des raisons géologiques que techniques- explique Peter Maass sur plusieurs pages. D'autant plus douteuse que les Saoudiens sont les seuls véritables maîtres des données relatives à leurs réserves et à leur pouvoir technologique d'accélérer l'extraction de l'or noir au gré de la commande, sur directive de Washington.

Structure menacée

L'enjeu est pourtant considérable pour les États-Unis et, par voie de conséquence, pour le monde, rappelle Peter Maass. Le pétrole est intimement lié au way of life des États-Uniens, qui vivent essentiellement en milieux suburban ou exurban. Le pétrole et la pétrochimie sont présents dans presque tout ce qu'ils consomment. Le ménage ordinaire compte deux voitures dont on se sert pour tout, pour aller au travail, à l'école ou au Wal-Mart. Le coût du carburant (si le baril de pétrole atteint 100 $US) peut devenir inabordable et commander le rationnement. Et on ne parle pas du coût du chauffage dans la frange nord du pays, la Nouvelle-Angleterre voisine incluse.

Déjà le baril à quelque 65 $US cause de sérieux maux de tête à certaines activités économiques, le transport aérien par exemple. Le Wall Street Journal rapportait mardi que les 10 plus importants transporteurs américains- déjà fragilisés par les séquelles du 11 septembre 2001- accusaient des pertes de 4,9 milliards US pour le premier semestre de 2005, soit 1,1 milliard US de plus qu'à la période correspondante de 2004. Explication: la facture du carburant pour la première moitié de 2005 a coûté 3,5 milliards US de plus qu'en 2004, et ce avant que le baril n'atteigne les 65 $US. L'effet de cette hausse appelle, au mieux des fusions, au pire des faillites.

La rescousse saoudienne

La solution facile à tout ça, c'est, comme le fait le département de l'Énergie, anticiper qu'un pays comme l'Arable Saoudite vienne à la rescousse, comptant sur des réserves de 262 milliards de barils. Le pays suivant s'appelle l'Iran, avec 133 milliards de barils. Les autres champs pétroliers du monde- mis à part les sables bitumineux canadiens, chers à exploiter- n'offrent que des fractions de ces réserves, d'où la référence constante à l'Arabie Saoudite, seule « superpuissance » actuelle du pétrole. L'Alaska National Wildlife Refuge, par exemple, ne compte que 10 milliards de barils de potentiel.

Or, même le potentiel saoudien fait problème. Peter Maass rappelle qu'on ne peut évaluer des réserves pétrolières comme les forestières: géologues et ingénieurs ne voient pas ce qu'ils évaluent comme réserves. Sans compter que l'Arabie Saoudite garde secrètes ses connaissances sur ses réserves et sa capacité de production.

Le ministre saoudien du Pétrole, Ali al-Naimi, est absolument confiant dans les réserves mondiales et dans la capacité de répondre à la nouvelle demande planétaire, pour peu que les investissements suivent dans les pays producteurs, de même que dans la capacité de raffinage dans les pays consommateurs.

Des experts interviennent

Peter Maas fait intervenir quelques experts à l'encontre de l'optimisme officiel du ministre saoudien. Matthew Simmons notamment, à la tête d'une banque d'affaires spécialisée dans le pétrole, diplômé du Harvard Business School et membre du Council on Foreign Relations. Il a conseillé bénévolement George W. Bush dans sa campagne de 2000.

M. Simmons affirme que tous les pays de l'OPEP exagèrent le volume de leurs réserves parce que c'est sur cette base que reposent les quotas de production accordés à chacun, donc les revenus du pétrole. (Tout le monde fait ça dans le pétrole, même les pétrolières comme l'a démontré Royal Dutch / Shell, note Peter Maass.)

M. Simmons constate ensuite que la réalité géologique du pétrole est telle que l'extraction dans un champ pétrolifère est facile dans un premier temps, mais que dans un deuxième temps, il faut utiliser le gaz ou l'eau comme instrument de pression pour faciliter l'extraction. Et à cette étape, on ne peut accélérer indéfiniment la production quotidienne. Survient une pointe (peak) qu'on ne peut dépasser sans danger. Le plus grand champ pétrolifère au monde, Ghawar, en Arabie Saoudite (55 milliards de barils en 50 ans), en est là. M. Simmons a scruté à ce propos plus de 200 mémoires présentés à la Society of Petroleum Engineers, sur plusieurs décennies.

« Insoutenable »

Peter Maass fait ensuite intervenir une autre célébrité du monde pétrolier international, Sadad al-Husseini, ex-chef à la retraite de l'exploration et de la production chez Aramco, la grande société pétrolière nationale d'Arabie Saoudite. Sadad juge impossible que l'ensemble des producteurs puisse répondre à la frénésie qui frappe actuellement la demande planétaire: 79 millions de barils par jour en 2002, 82,5 millions en 2003, 84,5 millions en 2004.

De deux à trois millions par jour par année, ça veut dire environ cinq millions par jour de pétrole neuf si on tient compte du déclin des installations existantes. Cela veut dire ajouter à la production mondiale l'équivalent de ce que produit l'Arabie Saoudite à chaque tranche de deux ans, ce qui est « insoutenable », dit Sadad al-Husseini, que Maass juge « l'un des experts du pétrole les plus respectés au monde ».

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